père et fish : Anton à la pêche

Père et fish :

Le hors sujet du dimanche avec ce petit texte que j’ai écrit pour un magazine de pêche, il y a quelques années. Je parle de la relation père/fils à travers une passion commune : le rockfishing ou pêche au leurre de petits poissons depuis les digues rocheuses et les quais…
père et fish : Anton à la pêche
Ce soir, je rentre à la maison, stressé et harassé par une dure journée de travail. Quand je pousse la porte d’entrée, Anton, mon fils se jette sur moi, excité comme une puce de mer de 1m60. Instantanément, je me souviens que je lui ai promis une session de rockfishing. Il a 11 ans et malgré ma fatigue, je sais déjà que je n’ai pas le droit de le décevoir. Juste le temps de me changer, de récupérer le matos et nous voilà assis tous les deux dans la voiture en direction du port.
 Dans l’autoradio, les dernières nouvelles du monde : un attentat, une catstrophe écologique, le lancement d’une émission de télé réalité… Ils sont réellement entrain de tous devenir cinglés. Je jette un coup d’oeil vers mon fils. Je sens l’angoisse me saisir. Pour me calmer, je décide de glisser « les variations Goldberg » de Bach dans le lecteur CD. Anton me regarde l’air vaguement amusé et moqueur. C’est certain, nous ne partageons pas la même play-list, pas les mêmes angoisses non plus…
 Le rockfishing, par contre, c’est quelque chose que nous avons en commun. On a découvert ça pratiquement en même temps, lui et moi.
 Se balader sur les digues et les côtes rocheuses, une canne ultra light entre les mains, avec une poignée de têtes plombées et des pochettes de mini leurres aux looks plus improbables les uns que les autres, c’est notre instant à nous, père et fils, notre petite accalmie au milieu de la tempête des jours.
 Quand nous arrivons au port, je l’observe déplier sa canne, sélectionner soigneusement une tête plombée en fonction du courant et de la technique qu’il a choisie. Une tête profilée pour aller tenter en récupération linéaire les poissons de pleine eau, comme les sévereaux et les oblades, une tête plombée plus massive pour débusquer dans les cavités obscures, gobies, blennies et autres rascasses…
 Pour lancer la session, il a choisi une tête plombée ronde. Il fait son noeud, accroche un leurre qui imite un ver rouge et me tance du regard. Ce soir, c’est « battle » et le perdant devra offrir une pochette de leurres souples au gagnant. Je relève le défi en bombant le torse exagèrement. Il va voir de quel bois je me chauffe, ce jeune effronté…
 Je n’ai pas encore fini de monter ma ligne que le voilà déjà pendu. Je le regarde sortir un gobie. Un large sourire illumine son visage. « Et de un ! » me dit-il. Moi, je fais semblant d’être agacé, histoire de mettre un peu de piment à notre combat. En réalité, je suis si fier de lui. J’adore ces moments privilégiés que nous passons ensemble. Ces heures passées à lui apprendre à faire un noeud, à manier un leurre, à prendre plaisir à relâcher un poisson.
 Je fais danser mon leurre entre deux rochers en pensant à toutes ces choses quand soudain ma canne se plie en deux. Un gobie Paagnel de plus de 20 centimètres essaye de regagner sa cachette. Je le bride fermement et dans une gerbe d’écume, je le mets au sec. J’égalise. Le temps de le prendre en photo et le voilà qui repart nerveusement dans les eaux vertes du port. Je pérore un peu en évoquant la taille de ma prise. Anton me gronde car, selon lui, j’ai pris trop de temps pour prendre la photo. Il faut respecter la ressource, me dit-il sur un ton déterminé.
 Quelques instants plus tard, le voilà qui saute de rochers en rochers, pour finalement se poser sur une grande dalle. Je le vois se concentrer sur sa gestuelle, la perception de la touche. Il est entré dans une méditation instinctive qui le guide vers une pleine conscience de lui-même et de l’instant présent. Une blennie et deux rascasses plus loin, il a définitivement pris le large.
 Le soir approche et l’horizon se met à flamboyer. Je mets ma main sur son épaule et lui propose de prendre le temps d’observer la lumière dorée qui enveloppe l’avant port. Nous nous asseyons sur un rocher. Moi, le père et lui, le fils. Je lui explique que bientôt, je l’emmenerai pêcher le loup en kayak. Il a acquis un bon niveau grâce au rockfishing. Il peut à présent m’accompagner sur des sessions en étangs salins.
Il me regarde et me remercie. je sens une vague de bonheur et de fierté gonfler à l’interieur de sa poitrine.
la journée s’achèvera sur un joli doublé de gobies à grosses têtes et un vol de flamands roses sur fond de soleil couchant.
 En rentrant dans la nuit qui s’est à présent installée, j’ai envie de lui prendre la main comme quand il avait 4 ans, mais je ne le fais pas car je sais qu’il en a 12, qu’il sera bientôt un homme, et que le temps passe si vite.
Plus tard, dans la voiture qui commence à sentir sérieusement l’attractant saveur crustacés, nous retombons sur les informations à la radio. je réprime un soupir. Je ne peux m’empêcher de penser que ce monde est vraiment désespérant, que les instants de magie sont vraiment trop rares, trop brefs.
Quand soudain Anton se tourne vers moi ; ses yeux malicieux sont emplis de belles lumières : « Tu veux pas le remettre ton CD de Bach ? Finalement, je crois que ça me plait bien, ce truc !… ».

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